Le commerce équitable résistera-t-il à la menace carbone
?
Par Stéphane Le Borgne, Président de la fédération Artisans du Monde (Tribune publiée dans le
quotidien Ouest France le 17 mai 2009)
La préservation de l’environnement est une lame de fond
qui balaye le monde de la consommation. Même si le grand chambardement attendu par le Grenelle semble tarder à se mettre réellement en place, la thématique environnementale prend de plus en plus
d’importance. A juste titre et bien heureusement.
Depuis plus de 35 ans, le commerce équitable a déjà pris
en compte cette dimension du développement durable : 50% des produits alimentaires sont issus de l’agriculture biologique (certifiée ou non), les OGM sont bannis, l’agroforesterie est souvent
pratiquée, l’artisanat est réalisé à partir de produits recyclés, les teintures sont à l’eau… 35 ans de succès et de respect de l’environnement atteints, notamment, grâce aux efforts des
organisations de producteurs au Sud, maillon décisif du commerce équitable.
Mais cette dimension du commerce équitable demeure peu
connue. Les produits importés de pays lointains – ce qui est fréquent dans cas du commerce équitable – sont aujourd’hui stigmatisés. Le consommateur, déjà culpabilisé par le bilan carbone de ses
actes quotidiens (notamment ses déplacements), pense, de bonne foi, qu’acheter ces produits venus d’Amérique Latine, d’Asie… ne constitue pas un acte « éco citoyen ». Or, il n’en est
rien.
Certes, importer du riz, des jus de fruits du Laos, par
exemple, génère des gaz à effet de serre. En revanche, la relation proposée par le commerce équitable a permis la construction de barrages pour l’irrigation des rizières, la fabrication de
compost comme engrais organique, la plantation de légumineuses en alternance avec le riz (apport d’azote et d’humus), la lutte biologique contre les insectes, etc. Ces impacts sont largement
positifs et évitent l’émission de gaz à effet de serre liée à la fabrication d’engrais chimiques, par ailleurs extrêmement polluants et utilisés massivement dans l’agriculture productiviste. Sans
le commerce équitable, cette organisation, n’aurait pas développé de tels projets.
De même, les produits artisanaux (décoration, bijoux,
etc.) sont critiqués car jugés superflus. L'impact positif sur l’environnement est dans ce cas moins évident, mais pourtant bien réel. En effet, la fabrication d’artisanat constitue un complément
de revenu permettant le maintien de l’agriculture vivrière. Il réduit ainsi l'exode rural. Ce type d’économie évite à la famille d’aller vivre en bidonville où, ne pouvant plus subvenir elle-même
à ses besoins, elle consommera des produits issus de l’agriculture productiviste et venant de l’autre bout de la planète...
Le commerce équitable favorise donc des modes de production respectueux de l’environnement
(l’agriculture paysanne notamment) et apporte de réels bénéfices sociaux économiques et culturels. Il est par conséquent trop réducteur de ne considérer que les impacts liés aux transports des
produits. D’autant plus que leur acheminement par voie maritime produit très peu de gaz à effet de serre.
Cependant, il est indispensable de privilégier les
produits issus de circuits courts provenant de nos propres régions et d’ignorer les productions agro-industrielles de basse qualité. Et la solution ultime, défendue par Artisans du Monde, sera de
développer un commerce équitable relocalisé au plus près des zones de production afin d’éviter au maximum les exportations. Le Brésil, le Pérou, la Bolivie, l’Inde… développent des réseaux de
commerce équitable dans leur propre pays tout comme, en France, le réseau des AMAP (Association pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne) propose de recréer du lien, de l'équité et de la
solidarité entre producteurs et consommateurs à une échelle locale.
La solution réside bien dans cette relocalisation de l’économie. Mais en attendant que celle-ci ne
soit complète, les produits du commerce équitable n’ont pas à rougir devant la menace carbone. Ils relèvent déjà le défi.